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Non, être trans n’est pas une maladie mentale

Photographie par Nicolas Bloise.
Le 25 mai 2019, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a annoncé un changement important dans son manuel des diagnostics médicaux : la transidentité n'est plus classée parmi les troubles mentaux. 
Intervenant 46 ans après la déclassification de l'homosexualité dans ce même manuel, cette décision devait reconnaître, selon un expert de l'OMS à l'époque, qu'être transgenre n'est "pas réellement un trouble mental". 
Trois ans plus tard, la "libération" que cette mesure devait accorder aux personnes transgenres se fait toujours attendre. L'OMS a retiré le "trouble de l'identité de genre" du chapitre sur les troubles mentaux de son manuel de diagnostic et l'a replacé sous le terme "incongruence de genre" dans le chapitre sur la santé sexuelle. À l'époque, les organisations de défense des droits humains espéraient que cette mesure inciterait les gouvernements du monde entier à abandonner l'exigence d'un diagnostic médical pour l'accès aux soins de santé et la reconnaissance légale des personnes transgenres.
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Dans des dizaines de pays - dont neuf en Europe et en Asie, selon la dernière carte Trans Rights Europe - les personnes transgenres doivent être stérilisées pour être reconnues légalement. Ce fut le cas jusqu'en 2016 en France, où les personnes trans devaient justifier du "caractère irréversible" de leur transition pour obtenir leur changement de sexe à l'état civil.
Mais l'arrêt rendu le 6 avril 2017 par la Cour européenne des droits de l'Homme, a jugé que "le fait de conditionner la reconnaissance de l'identité sexuelle des personnes transgenres à la réalisation d'une opération ou d'un traitement stérilisant qu'elles ne souhaitent pas subir" constituait une violation de leur droit au respect de la vie privée.
Dans de nombreux autres pays, les personnes transgenres qui souhaitent changer le nom et le sexe sur leurs documents officiels ou avoir accès à des soins de santé conformes à leur identité de genre sont forcées d'obtenir au préalable un diagnostic médical de dysphorie de genre. En médicalisant le processus de transition, les gouvernements - souvent à l'encontre de l'avis professionnel des médecins - continuent de pathologiser les personnes trans. 
Le paradoxe au cœur de ce mythe persistant est le suivant : si la transidentité n'est pas une maladie, la façon dont la société traite les personnes transgenres nous rend bien souvent malades. 
Et dans les pays où un diagnostic de dysphorie de genre est requis pour accéder aux soins de santé, le mythe est encore plus tenace. Si les personnes transgenres ne sont pas malades, pourquoi le rapport d'un psychologue devrait-il être nécessaire pour bénéficier de soins de santé ? Des soins auxquels les personnes cis ont bien souvent accès sans avoir à passer par ces étapes pathologisantes. 
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Le mythe selon lequel la transidentité est un trouble mental persiste au-delà des détails de la législation et des soins de santé liés à la transidentité. 
En mai, Lia Thomas - la première nageuse ouvertement transgenre à remporter un titre universitaire américain - a donné une interview dans laquelle elle décrivait sa transition "pour être heureuse". Quelques semaines plus tard, une de ses coéquipières a déclaré qu'en regardant l'interview, "on peut voir" que Thomas souffre d'une "maladie mentale".
L'expérience de Lia reflète celle d'autres femmes transgenres. Il était "insensé" de laisser l'haltérophile transgenre Laurel Hubbard participer aux Jeux olympiques ; Caitlin Jenner était "malade" d'avoir fait son coming-out.

Le paradoxe au cœur de ce mythe persistant est le suivant : si la transidentité pas une maladie, la façon dont la société traite les personnes trans nous rend souvent malades. 

Bien entendu, le fait que la société considère les femmes comme des malades mentales n'a rien de nouveau - les médecins ont diagnostiqué l'"hystérie féminine" chez les femmes des siècles durant. Par ailleurs, une personnes souffrant de troubles mentaux ne devrait jamais être humiliée, comme c'est le cas de nombreuses personnes transgenres. 
La dysphorie de genre (qui ne concerne pas toutes les personnes trans) n'est pas une maladie mentale - c'est un terme utilisé pour décrire la détresse clinique ressentie par certaines personnes face à la différence entre leur identité de genre et le sexe qui leur a été assigné à la naissance. Cela dit, de nombreuses personnes transgenres souffrent de troubles de la santé mentale. 
La raison ? La discrimination, la violence et la stigmatisation qui contribuent à la dégradation de la santé mentale des personnes trans. Les personnes transgenres sont près de neuf fois plus susceptibles de faire des tentatives de suicide au cours de leur vie, quatre fois plus susceptibles de souffrir de dépression, trois fois plus susceptibles de souffrir de troubles anxieux, beaucoup plus à risque d'avoir recours aux drogues ou à l'alcool comme mécanismes de défense. Elles sont également plus susceptibles de développer des troubles du comportement alimentaire. Une étude menée cette année a révélé que les personnes non-binaires (qui peuvent être trans, ou non) ont la santé mentale la plus précaire. Plus d'une personne non-binaire sur deux dans le monde est en situation de détresse clinique.
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Souvent, la santé mentale des personnes trans et non-binaires peut être améliorée par un meilleur accès aux ressources et au soutien, comme c'est le cas pour tout autre groupe. La sécurité du logement, un emploi rémunéré à un salaire décent et des soins de santé accessibles ont tous le potentiel d'améliorer la santé mentale et le bien-être d'une personne. 
En France, la transphobie entraîne une exclusion de l’emploi et du logement. Elle occasionne une déscolarisation des jeunes trans : un quart des enquêté·es déclare avoir renoncé à une formation par peur du rejet. Le taux de chômage est aussi plus élevé ; un tiers des enquêté·es trans déclarant avoir perdu un emploi à cause de sa transidentité. De plus, une personne trans sur quatre déclare s’être limitée dans l’accès à un logement du fait de sa transidentité, par crainte d’un acte ou d’un propos transphobe. Pour les personnes transgenres, la recherche montre que les soins de santé d'affirmation du genre - y compris les conseils, les hormones, les opérations chirurgicales, l'orthophonie et les bloqueurs de puberté - ont un impact positif sur la santé mentale.
C'est ce qu'a réaffirmé cette année une étude de Stanford, selon laquelle les personnes transgenres qui souhaitent et prennent des hormones ont une meilleure santé mentale que celles qui le souhaitent, mais n'y ont pas accès. Les chercheur·euses ont également conclu que si les adolescent·es transgenres qui souhaitent prendre des hormones y ont accès, on constate une baisse des pensées suicidaires, des problèmes de toxicomanie et ces personnes sont moins susceptibles de souffrir d'un trouble mental majeur à l'âge adulte. Pour les personnes transgenres, la transition - comme l'a constaté Lia Thomas - peut apporter le bonheur.
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De nombreuses personnes trans et non-binaires le savent. Au lieu de se définir par l'expérience de la dysphorie de genre, de nombreuses·x écrivain·es et artistes trans créent des œuvres sur l'euphorie de genre : une puissante sensation de bonheur. Cette sensation peut résulter du respect par les autres de l'identité de genre, d'un changement de nom, de pronoms, de coiffure ou de tenue vestimentaire, ou encore de la première baignade après une chirurgie du torse.
Rendre les soins de santé librement accessibles à tou·tes celles et ceux qui le souhaitent, qu'iels soient trans ou cis ou n'importe où entre les deux, contribuerait à mettre fin au mythe selon lequel nous sommes des malades. L'amélioration des conditions matérielles des personnes transgenres serait également utile.
Peut-être que dans ce futur, où tout le monde sera logé et nourri, nous cesserons de mesurer la transidentité par la dysphorie de genre et les troubles de la santé mentale. Et qui sait, peut-être que dans ce futur, nous, les personnes trans seront enfin définies par nos expériences de joie trans.

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