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Je souffre d’endométriose ; les médecins pensaient que j’étais bipolaire

Photo : Savanna Ruedy
Maria a la vingtaine et souffre d'endométriose. Elle prépare actuellement un doctorat sur l'histoire de cette maladie et explore les expériences des patient·es à travers le temps. Cet article est le fruit d'un entretien avec l'autrice Hannah Turner sur son parcours et ses espoirs pour l'avenir.
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En y réfléchissant, le début de mes symptômes ressemble à celui de beaucoup d'autres personnes malades que j'ai rencontrées. On a toutes eu nos règles tôt, on a toutes eu très mal, on nous a toutes dit que c'était normal, que les règles étaient douloureuses et qu'il fallait faire avec. 
J'ai eu mes premières règles à neuf ans. Je me suis sentie isolée dès le début. À chaque fois que ça arrivait, la douleur était insupportable. Lorsque j'ai eu 14 ans, je suis allée chez le médecin parce que j'avais des règles très abondantes et, comme presque tout le monde, on m'a prescrit un contraceptif. En conséquence, je n'ai eu mes règles que deux fois par an et, pendant un certain temps, j'ai eu l'impression que les problèmes et la douleur avaient disparu. 
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À l'université, la douleur est revenue. Je savais que ce n'était pas normal (comme la plupart d'entre nous) mais j'avais été conditionnée à croire le contraire. Je savais que cette nouvelle douleur, plus diffuse, n'était pas due à mes règles. Je me suis rendue au centre de santé étudiant de mon université pour obtenir de l'aide lors d'une crise de douleur intense. Pendant les heures passées au centre, les médecins que j'ai vu·es ont tenté de lentement faire glisser la conversation de mes symptômes physiques vers ma façon de réagir, laissant entendre que c'était mon humeur qui créait la douleur, et non l'inverse. Dès mon arrivée dans le bureau de ce premier médecin, j'ai exprimé à quel point je souffrais. J'étais en détresse totale. Ils ont vu mes larmes et ma colère et ont immédiatement catégorisé mes problèmes comme étant psychologiques. Ils ont complètement négligé la question de ma douleur physique. Je suis repartie avec une boîte d'antidépresseurs. 
Ça n'a pas de sens. Pourquoi me prescrire une ordonnance pour un médicament destiné à soigner une maladie mentale alors que j'étais en détresse physique ? Aujourd'hui, je peux facilement regarder en arrière et comprendre à quel point cette attitude est négligeante, mais à 19 ans, je ne comprenais rien aux maladies chroniques, à la santé reproductive ou aux dysfonctionnements du corps. Comme on pouvait s'y attendre, les médicaments n'ont rien changé et j'ai été orientée vers un psychiatre. 
C'est là que les antidépresseurs ont été remplacés par des antipsychotiques. J'ai quitté le cabinet du psychiatre presque étourdie, sans vraiment comprendre ma nouvelle ordonnance. Je n'avais pas donné mon consentement à ce nouveau protocole de traitement. Ce n'est que lorsque j'ai rappelé pour poser une question que j'ai appris qu'on m'avait diagnostiqué un trouble bipolaire. Ils ont expliqué que deux semaines par mois, j'étais extrêmement faible et que les deux autres semaines, lorsque je n'avais pas mal, j'éprouvais un sentiment de soulagement intense, semblable aux changements d'humeur extrêmes typiques du trouble bipolaire. J'ai passé les cinq années suivantes à me faire à l'idée que j'étais bipolaire, à la stigmatisation autour de la maladie et à l'idée que chaque nouvelle personne à qui je le disais pensait que j'étais "folle". Je me suis mise à militer en ligne contre ces mythes et stéréotypes.
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L'endométriose est une maladie inflammatoire chronique qui affecte l'ensemble du corps. Elle se caractérise par la prolifération de tissus similaires (mais non identiques) à la muqueuse utérine (l’endomètre) en dehors de l'utérus. Cette maladie est largement sous-diagnostiquée.

Toutes les personnes souffrant de douleurs chroniques ont droit à la même histoire : parce qu'on ne peut pas voir la douleur, parce qu'il n'y a aucun signe physique qui apparaît sur les analyses et les scanners, celle-ci doit être psychosomatique. Cette douleur n'existe que dans l'imagination de la personne qui en souffre. Les médecins sont formé·es pour résoudre des problèmes et à donner des réponses. La douleur chronique et la maladie chronique en général viennent perturber ce scénario, car il n'existe pas de solution simple, et bien souvent pas de solution tout court. Le fait que des milliers de personnes souffrent 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 est difficile à imaginer pour beaucoup - y compris pour les médecins - et il est plus facile de dire que ces douleurs sont imaginaires que d'admettre la triste réalité : "On ne peut rien faire pour vous". 
Des années après l'obtention de mon diplôme, une nouvelle douleur est apparue : un élancement dans mon bassin, une douleur lancinante dans mon ovaire gauche. J'ai consulté un autre médecin, en dehors de mon université cette fois. J'ai passé des échographies, des tomodensitogrammes, une coloscopie… toujours rien. Le médecin m'a dit que j'étais constipée. Rien de bien inquiétant. Pendant des mois, j'ai saigné quotidiennement et le médecin m'a dit qu’il ne pouvait pas m'aider. Je suis allée aux urgences et on m'a rembarrée à plusieurs reprises, sans me faire passer de tests ni même m'ausculter. On m'a renvoyée en disant que je n’avais aucun problème physique. À cette époque, j'étais très investie dans mes recherches. J'avais découvert que ma tante avait été opérée pour l'endométriose au même âge. J'ai lu énormément de revues médicales et de fils de discussion sur Twitter et, oui, me suis auto-diagnostiquée la maladie parce que personne d'autre ne voulait m'aider. J'ai commencé à me sevrer des médicaments antipsychotiques qui m'avaient été prescrits des années auparavant. Ils ne me faisaient aucun bien et les effets secondaires étaient de plus en plus difficiles à supporter. 
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J'ai fait pression pour être orientée vers un chirurgien gynécologue. Quelques mois plus tard, j'ai découvert au réveil de ma chirurgie laparoscopique que l'endométriose s'était développée sur ma vessie, mon utérus, les ligaments adjacents, mon côlon et recouvrait mes deux ovaires. Mon rectum a été fusionné à mon utérus. Une victoire, si on veut. La preuve irréfutable de cette douleur que je disais ressentir. Mais la douleur n'a pas disparu. Au contraire, elle a continué à s'intensifier. 
L'endométriose est une maladie inflammatoire chronique qui affecte l'ensemble du corps. Elle se caractérise par la prolifération de tissus similaires (mais non identiques) à la muqueuse utérine (l’endomètre) en dehors de l'utérus. Cette maladie est largement sous-diagnostiquée. Elle ne peut être soignée par la contraception, l'hystérectomies ou la grossesse. La désinformation qui entoure la maladie est si répandue que même les médecins reprennent souvent de fausses informations et recommandent de mauvais traitements à leurs patient·es. Mon premier chirurgien n'était pas un spécialiste de l'endométriose. Il a oublié des tissus endométriaux, des adhérences et des lésions nerveuses, qui ont été découverts lors de ma deuxième opération, moins d'un an plus tard. Lorsque je me suis réveillée après la deuxième opération, pratiquée cette fois par un médecin spécialiste de l'endométriose, cette douleur lancinante avait disparu. J'ai instantanément ressenti un soulagement. 
Maintenant que mon endométriose est sous contrôle (dans la mesure du possible), les symptômes psychologiques qui m'indiquaient que je n'allais pas bien ont disparus. Il est tout à fait normal de se sentir déprimé·e par la douleur physique et, de la même manière, de ressentir de l'exaltation lorsque vous passez une rare journée sans souffrir. Les idées reçues sur la douleur chronique, combinée à la misogynie médicale conduit trop souvent à un mauvais diagnostic de graves troubles de la santé mentale et au sous-diagnostic de maladies comme l'endométriose. 
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Avec le temps, j'ai réussi à prendre du recul face à mon expérience et je peux aujourd'hui affirmer avec quasi-certitude que c'est l'endométriose qui était à la source de mes problèmes. Cela n'avait rien à voir avec un trouble bipolaire. J'ai passé six ans à accepter ce diagnostic, et l'idée que la douleur était une illusion que j'avais moi-même créée. Je suis encore très en colère à ce sujet.
Je souffre maintenant d'anxiété du fait de ne pas avoir été crue. J'ai subi des traumatismes, et ce, dans presque toutes mes interactions avec le système de santé. Il est facile de penser que si j'avais consulté des médecins de sexe féminin, peut-être auraient-elles vu les choses différemment. Peut-être auraient-elles fait preuve de plus d'empathie. Aujourd'hui, je sais que les médecins, quel que soit leur genre, peuvent perpétuer la misogynie médicale et faire en sorte que leur patient·e se sente dévalorisé·e. La solution n'est pas d'avoir plus de femmes médecins ou même plus de spécialistes de l'endométriose. Il s'agit plutôt de repenser entièrement le système médical en considérant les patient·es comme des expert·es de leur corps, en acceptant la douleur chronique sans la questionner et en arrêtant de considérer la fertilité comme le centre de la santé pour les personnes ayant un utérus. 
Cette interview a été condensée et modifiée dans un souci de clarté.

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