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Power dressing : comment le patriarcat continue de dicter nos codes vestimentaires

Je me souviens de la première fois où j'ai enfilé un blazer qui m'allait bien. Je l'avais déniché dans les rayons encombrés d'un magasin de vêtements d'occasion. Ce n'était rien de très spécial. Une veste noire toute simple. Je me souviens avoir glissé le bras dans la doublure soyeuse et avoir eu l'impression de découvrir une autre facette de mon identité. "C'est tellement moi", ai-je pensé en regardant mon reflet dans le miroir de la cabine d'essayage.
Je crois que la mode est un merveilleux moyen d'exprimer sa personnalité. Je sais que la mode a la capacité d'influencer les humeurs et de marquer les esprits. Et je ne suis pas la seule à le penser ; la capacité de la mode à exprimer son identité est essentielle dans de nombreuses communautés, qu'il s'agisse d'affirmer son homosexualité ou de se rapprocher de l'euphorie du genre.
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Si mon style oscille entre énergie féminine et masculine, mon idée du power dressing est simple : un blazer et un pantalon, parce que les silhouettes franches et droites me donnent un sentiment de puissance. J'ai toujours pensé qu'il s'agissait d'une sorte de "doigt d'honneur" au male gaze, que je subvertissais ce que l'on attendait de moi en tant que femme (bien sûr, j'aime aussi porter des robes et des jupes). Mais mon monde a basculé après une conversation avec une amie qui m'a fait réfléchir en me disant : "Attends, et si le power dressing n'était que le patriarcat incarné ?". 
"Le power dressing reflète la glorification de toutes les choses stéréotypées masculines qui sont empreintes de notions d'autorité, de pouvoir et de contrôle", explique le Dr Lauren Gurrieri, maître de conférences en marketing à l'université RMIT à Refinery29 Australia. 

Il en résulte un système binaire dans lequel la masculinité est respectée et la féminité dévalorisée. Pour remettre en cause cette conception, il est essentiel de rompre l'équation entre masculinité et hommes.

Dr Lauren Gurrieri
La masculinité est traditionnellement assimilée aux hommes, ce qui implique que les femmes doivent "s'habiller comme des hommes" pour être prises au sérieux, progresser et neutraliser le male gaze. Il en résulte un système binaire dans lequel la masculinité est respectée et la féminité dévalorisée. Pour venir à bout de cette conception, il est essentiel de rompre l'équation entre masculinité et hommes."
Alors qu'il est largement admis que la masculinité est une construction sociale, les valeurs que nous associons aux hommes comme la vigueur, l'agressivité et la dureté règnent toujours en maître au sein des structures sociétales, des conversations, et accessoirement, de la mode. 
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"Nous en sommes témoins avec l'essor de la mode unisexe, où les vêtements sont dépourvus de toute signification ou association genrée", explique Gurrieri. Qu'il s'agisse de labels indépendants ou de marques haut de gamme comme Versace et Balenciaga, un nombre croissant de marques fusionnent leurs vêtements féminins et masculins en une seule collection. Nous constatons des progrès indéniables dans l'espace de la mode dégenrée, mais pourquoi avons-nous l'impression que les normes patriarcales continuent d'étouffer nos choix stylistiques, même lorsque nous tentons expressément de les renverser ? 
"La structure de cette industrie est basée sur des inégalités de genre. L'industrie du vêtement est dominée par les femmes, mais il s'agit d'un travail précaire et marqué par l'exploitation", affirme Gurrieri, expliquant les liens inextricables entre le patriarcat et l'industrie de la mode. "Les rôles les plus visibles pour les femmes dans l'industrie sont dans le mannequinat, qui est une forme de travail esthétique où "être belle" est ce qui compte et où la valeur des femmes est reléguée à la satisfaction d'un idéal de beauté étroit et irréaliste, souvent au détriment de sa santé."
À l'inverse, elle souligne que les femmes sont également invisibilisées en tant que stylistes ou directrices de mode, même si les maisons de couture dirigées par des femmes sont de plus en plus nombreuses.
Cette situation est parallèle à la façon dont le male gaze opère dans le monde de la mode - la dynamique de pouvoir où les hommes regardent et les femmes sont regardées. "Le male gaze reflète les attentes quant à l'apparence que le corps des femmes est censé présenter et ce que l'on attend d'elles d'un point de vue esthétique - ce qui, à son tour, positionne les femmes comme des êtres sexualisés, idéalisés et objets de désir et de plaisir hétéronormatif", explique Gurrieri.
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Pourtant, aujourd’hui, les utilisateur·ices TikTok tentent de se soustraire au male gaze et s'habillent plutôt pour le female gaze. Ce terme n'est pas l'opposé direct du premier et ne vise pas à affirmer une domination féminine, mais plutôt à faire ressentir aux spectateur·ices ce que les femmes voient et vivent. Cependant, certains affirment que le female gaze n'existe pas. Les utilisateur·ices TikTok s'approprient le terme pour exprimer leur désir de s'habiller pour eux-mêmes (bien que cela semble être un simple changement de packaging du cycle des tendances).
Pour de nombreuses femmes, adopter des silhouettes et des vêtements féminins représente une forme de power dressing, mais je ne peux m'empêcher de me demander s'il ne s'agit pas d'une soumission à des normes d'habillement genrées.
"S'habiller de manière plus stéréotypée et féminine est l'autre facette de cette dynamique, la féminité étant traditionnellement associée à des aspects de marginalisation et de soumission, de décoration et de frivolité", explique Gurrieri.
"Il est important de noter que les hommes ont été empêchés de cultiver la féminité - et cela reste un problème", poursuit-elle. "Par exemple, pensez au tollé provoqué par le fait que Harry Styles portait une robe Gucci pour sa couverture de Vogue. Cependant, la dévalorisation historique de la féminité est progressivement remise en question à mesure que les stéréotypes de genre qui ont longtemps dominé l'industrie de la mode viennent à être perturbés."
Il semble presque trivial que j'en sois arrivée à la conclusion évidente que les styles féminins ne devraient pas être assimilés à la douceur, la superficialité ou la passivité - même si nous nous sommes réappropriés ces stéréotypes. D'un côté, je suis presque gênée que ce soit là l'étendue de mon processus de réflexion, mais c'est peut-être une indication de la profondeur de ces idéaux sexistes et de l'omniprésence du contrôle masculin sur nos vies et nos choix vestimentaires. Quand je regarde mon blazer, il me fait penser à ces hommes d'affaires pressés portant un attaché-case. Je ne pense pas que ce soit une mauvaise chose que j'assimile les blazers au pouvoir et au contrôle, mais il s'agit de désapprendre les préjugés sexistes qui s'enchevêtrent dans ces pensées. M'habiller pour moi - vraiment pour moi - implique de me confronter aux structures dans lesquelles la mode existe et ne pas les fuir. Et puis il faut dire que j'aime vraiment ce blazer.

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